Willie « The Lion » Smith
Le premier dont on voulait vous parler n’est pas un grand classique (Louis Armstrong, Duke Ellington, Ella Fitzgerald, Benny Goodman ou Glenn Miller pour ne citer qu’eux) mais c’est un précurseur du swing, un immense pianiste de jazz et un personnage un peu loufoque : Willie « The Lion » Smith (1897-1973). Son style (à tous points de vue) vaut le détour, ses compositions et ses arrangements donnent instantanément envie d’inviter quelqu’un, de danser et de s’amuser tout en délicatesse. Il fallait donc que vous le rencontriez !
Crédits : William P. Gottlieb
« Le Lion » est un des grands pianistes du « stride » qu’il a contribué à développer. Le stride, le terme évoque l’idée de se déplacer à grande enjambées sur le piano, vient du ragtime (style musical précurseur du jazz). Il se caractérise par une grande place laissée à l’improvisation. Ce sont souvent des morceaux rapides et très rythmés. L’inventeur de ce style est James P. Johnson avec son morceau Carolina Shout, le même qui a composé le morceau Charleston (1923) à l’origine du… charleston ! Vous pouvez écouter ce morceau et voir la souriante bobine de Johnson :
Devenu un célèbre pianiste de stride à Harlem dans les années 1930, Willie Smith défiait qui le voulait dans des compétitions de « piano contest » qui consistaient à s’affronter sur un même thème dans le tempo le plus élevé possible sans jamais perdre de précision rythmique. Vous pouvez écouter ce que ça donne ici dans cet enregistrement de la fin de sa vie qui donne à voir le personnage (chapeau melon et gros cigare qu’il a gardé jusqu’à sa mort dans les années 1970) définir le jazz, rendre hommage à ses amis « striders » comme Fats Waller (mais si, vous le connaissez, « All my life, I’ve been waiting for you… ») avant de jouer un de ses classiques du genre : Fingerbuster [Briseur de doigts] !
Willie Smith a travaillé avec les grands noms du blues et du jazz de son époque (Duke Ellington, Sydney Bechet) mais il n’est reconnu que tardivement (à la fin des années 1930) en tant que compositeur. Voilà sans doute son morceau le plus connu, Echoes Of Spring :
Comme on le sent à travers ce morceau, Smith oriente progressivement le stride vers le swing ce qui en fait un des précurseurs. Entendez-vous les accords (main gauche) un peu moins omniprésents que dans Fingerbuster mais qui nous poussent irrésistiblement à faire de jolis triples ? Et une mélodie (main droite) qui file tout en légèreté sur le clavier ? Ça donne envie de se laisser glisser sur le parquet et de jouer ensemble sur la ligne mélodique…
Ses morceaux deviennent ensuite des standards repris par les grands jazzmen comme Artie Shaw (pas de jeu mots hein). Sa version instrumentale de The Sunny Side of the Street (1972) – un immense standard dont on vous reparlera sûrement – est un de ses derniers enregistrements réalisé avec son compère batteur Jo Jones. C’est est un bijou mélodique et rythmique qui fait travailler la musicalité mais surtout un enchantement à danser ! On se sent transporté par son piano tout doux et virevoltant. En réalité, c’est tout l’album (The Lion and the Tiger) qui est une merveille… Le petit + : le solo de batterie pour bosser son impro !
Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin dans la découverte de Willie Smith, une émission de France Musique lui a été consacrée en 2013 autour de sa vie, de son style avec la diffusion de plusieurs excellents morceaux. Vous pouvez la réécouter ici.
Un documentaire américain de Marc Fields lui a également été consacré (les sous-titres sont seulement en anglais…) avec des témoignages de musiciens et des images d’archives où vous pouvez le voir jouer du piano (à toute vitesse !). Vous pouvez le trouver ici.
Mais au fait : pourquoi « The Lion » ? On raconte qu’il aurait été surnommé comme ça suite à sa participation à la Première Guerre mondiale dans l’armée américaine et aux rugissements qu’il poussait lors des assauts… le jazz est aussi une montagne de légendes !